Militants de l’écologie politique, de l’écologie de terrain, sympathisants, élus, intellectuels, nous partageons des révoltes, des élans, des projets. Mais nous avons souvent du mal à nous comprendre, à éviter les stéréotypes, les slogans trop rapides.
L’écologie a ouvert un immense chantier de remise en cause des présupposés du modernisme. Pourtant, ses élaborations théoriques restent limitées à quelques précurseurs (Illich, Jonas, Charbonneau, Gorz par exemple) et ne sont guère diffusées même au sein de la mouvance de l’écologie politique. Des modèles largement critiqués, le marxisme notamment, restent souvent contraignants dans nos façons de penser tous les problèmes (cultures, politiques, modèles économiques, solidarités, etc…) avec des grilles qui ont déjà montré leurs limites. Nous manquons encore d’une véritable culture commune de l’écologie politique, d’une pensée qui nous soit propre.
C’est pourquoi, sans nier nos héritages mais en les réinventant, nous créons une revue théorique pour l’écologie politique pour explorer les concepts nécessaires à une nouvelle vision du monde, radicale, démocratique, solidaire. L’incertitude et la complexité des problèmes posés par l’écologie elle-même exigent de nous une capacité d’analyse politique plus fine, plus proche des pratiques des mouvements sociaux. La politique que l’écologie rend nécessaire n’est ni celle des certitudes technocratiques ni celle des dogmes idéologiques. Certes, nous exerçons une vigilance critique mais non pour accuser des ennemis toujours désignés “ en général ” mais auxquels on ne s’intéresse pas dans leurs formes particulières, ce qui rend impuissants et qui réduit à l’incantation. Nous cherchons à éviter non pas tant la pensée unique que la pensée facile parce que nous avons appris de l’écologie l’art de la complexité et de l’incertitude. Nous n’hésiterons pas à remettre en cause des évidences militantes ou du sens commun, en rappelant toujours la nécessité de s’appuyer sur la créativité des collectifs. Mais nous n’avons pas de vision de la théorie surplombante, dévoilant la vérité d’un monde à partir d’une position hors jeu : les intellectuels sont en jeu, les acteurs produisent de la théorie. Les langues pour faire passer les concepts d’un monde à l’autre (dans les deux sens) sont à trouver et la façon d’écrire compte aussi pour y parvenir.
Notre projet admet l’incertitude comme centrale dans le renouveau démocratique, sans chercher à revenir à un temps (supposé) de frontières stables, de valeurs indiscutables et de vérités révélées. Notre projet veut souligner les solidarités, les liens qui nous unissent à nos mondes, liens passés et à venir, lointains et proches, sans chercher à épurer cet imbroglio en faisant table rase, en cultivant à la fois l’oubli et la maîtrise. Ces liens nous touchent personnellement, subjectivement, et les montages politiques s’appuient aussi sur ces dynamiques désirantes. Cette attention aux attachements à plusieurs niveaux permettent à l’écologie politique de prendre en compte les êtres si divers qui peuplent nos mondes et qu’on avait réduits au statut d’êtres sous-développés ou encore de nature et d’objets. Autant de cosmopolitiques[1], à toujours élaborer collectivement et non à décider a priori.
Les programmes de gouvernement ou de partis, l’actualité politique ne sont pas notre priorité : c’est à ceux qui inventent de nouvelles façons de penser et d’agir, incertaines et solidaires, dans les textes et dans les pratiques, que nous voulons donner la parole dans cette revue, sans craindre de prendre des risques, le risque indispensable du débat.
Si vous estimez que nous nous acquittons honnêtement de cette tâche, votre soutien nous sera particulièrement utile, ainsi que vos contributions[2].
Dominique Boullier
Rédacteur en chef
[1] Le titre de notre revue doit moins à Emmanuel Kant ou à Jean Ellenstein qu’à Isabelle Stengers qui s’en explique dans ce numéro.
[2] Dans quelques temps, vous pourrez d’ailleurs alimenter ces débats directement grâce au Web.