L’élevage industriel en batterie rompt les formes traditionnelles d’engagement et de coopération qui lient les éleveurs à leurs animaux d’élevage. Les auteurs défendent non pas la « libération de l’animal », mais le respect de la profonde civilité de la domesticité animale, nécessaire à la conscience politique et morale de nos attachements aux non-humains.
Les animaux d’élevage sont en voie de disparition. Ne croyez pas avoir mal lu. Ne pensez pas que notre langue a fourché et que nous voulions dire les « animaux sauvages ». Certes, nombre de ces derniers, gorilles, bonobos, crocodiles ou éléphants sont bel et bien menacés d’extinction. Nous le savons d’autant mieux que certains d’entre eux ont, ces dernières années, trouvé des porte-parole, le plus souvent en la personne des scientifiques qui les étudiaient. En se définissant comme leurs porte-parole, ces chercheurs ont d’ailleurs considérablement modifié la définition ou la portée de leur mandat. Ils ont pleinement assumé la double signification du rôle de « porte-parole ». D’une part, certes, le fait de « parler pour » désigne toujours ce qui fonde le travail des scientifiques comme scientifiques : il s’agit de « parler pour » les non -parlants, de traduire leurs habitudes, de rendre visibles leurs préférences, leur éthos, voire les conditions de leur survie. Mais, d’autre part, ce « parler pour » se constitue aujourd’hui sous le signe de l’engagement : « parler pour », c’est aussi parler en « faveur de ». Que l’on pense aux chimpanzés de Goodall, aux babouins de Strum, aux loups des écologistes, aux corbeaux d’Heinrich, chacun de ces animaux en danger a trouvé, en la personne de son scientifique, un porte-parole qui s’est chargé d’intéresser et d’alerter le collectif, de protéger ceux de son espèce et de veiller à ce qu’ils puissent continuer à partager le monde avec nous. Chacun de ces scientifiques s’est engagé à engager les autres, à faire que ce qui compte pour ces animaux et qui compte désormais pour eux-mêmes puisse compter pour le collectif. La menace de leur disparition a réussi à nous mobiliser. Les animaux d’élevage n’ont pas cette chance. (…)