Michel Wievorka – Le conflit contre la violence


Michel Wievorka / mercredi 18 juin 2003

 

Lorsque la vie à l’intérieur d’une société s’organise à partir d’un conflit fondamental ­ que certains appelleront par exemple la lut e des classes ­ ou lorsque les relations internationales sont surdéterminées par une opposition majeure entre deux blocs ­ comme ce fut le cas avec la guerre froide ­ l’espace de la violence ne eut être le même que lorsque la société considérée semble se fragmenter, sans principe central de structuration conflictuelle, ou que le jeu des États cesse d’être conditionné par le face-à-face de deux super-puissances sachant éviter de monter aux extrêmes. Formulée avec prudence, cette remarque est une invitation à envisager un raisonnement qui devrait avoir tout à la fois valeur sociologique et portée historique. N’est-il pas utile, en effet, d’admettre, en sociologues, que violence et conflit, plutôt qu’aller de pair, relèvent de deux logiques distinctes, voire contraires ? Et ne faut-il pas admettre, en historiens, qu’avec le déclin du mouvement ouvrier, qui fut la haute figure contestataire des sociétés industrielles, comme avec la fin de la guerre froide, la violence revêt des dimensions, des formes, une portée inédites et élargies ? Une telle approche appelle, en tout premier lieu, que soient précisés les notions et donc les deux termes du rapport envisagé. Nous renverrons, pour ce qui est de la violence, à nos travaux antérieurs 1 et nous contenterons, ici, de proposer une définition de la notion de conflit.

 

Comme bien des mots que nous utilisons, celui de « conflit » est vite confus, tant il renvoie à des situations ou des expériences diverses, sociales, politiques, mais aussi, interpersonnelles, voire intrapsychiques. C’est pourquoi il convient d’indiquer le sens, limité, que nous donnons à ce terme : celui d’un rapport entre deux personnes, deux groupes, deux ensembles qui s’opposent au sein d’un même espace avec chacun pour objectif ou pour horizon non pas de liquider la partie adverse et donc la relation elle-même, mais de renforcer sa position relative dans cette relation. (…)