Le paradoxe contemporain d’une égalité en droit entre les sexes et d’une discrimination sexiste structurelle de fait : un nécessaire questionnement du féminisme. S’agissant de la question du rapport entre les hommes et les femmes dans nos sociétés, il me semble que le paradoxe est le suivant. D’un côté, à la suite des victoires civiques, législatives et juridiques du féminisme depuis la deuxième moitié du XXe siècle, nous vivons dans une société qui s’organise et s’énonce comme égalitariste. Cela signifie à la fois que l’égalité entre les sexes est garantie en droit (dans quasi toutes les sphères d’activité sociale, le reste étant susceptible de contestation jusqu’en appel auprès de l’Union Européenne) et que ce principe égalitaire est tenu pour acquis par les femmes, la question ne se posant d’ailleurs quasiment plus pour les plus jeunes d’entre elles. D’un autre côté, les données sociologiques les plus récentes montrent qu’il existe toujours une reproduction systématique et universelle d’une discrimination sexiste de fait qui se traduit par un moindre accès des femmes aux mét iers et aux carrières prestigieuses et proches du pouvoir (économique et politique) et par une profonde asymétrie dans la division du travail au sein de la sphère domestique, qu’elle soit conjugale ou familiale. Ceci expliquant d’ailleurs en grande partie cela : c’est parce que les femmes se voient « spontanément » chargées des tâches reproductives dans les sphères domestiques et professionnelles qu’elles demeurent moins disponibles pour les tâches dites productives, ce qui a pour double conséquence d’une part la généralisation de la « double journée » (cumul du travail domestique avec le travail salarié sauf, évidemment, la minorité de celles qui ont les moyens de payer des « nourrices » et des « femmes de ménage »), d’autre part la justification de leur moindre disponibilité aux mondes compétitifs du travail et de la politique. Le paradoxe peut donc ainsi s’énoncer : comment se fait-il que dans des sociétés directement héritières du féminisme ayant en droit mis à bas les piliers du patriarcat (émancipation civique, juridique et corporelle des femmes de la tutelle de leur père, de leur mari et du législateur masculin, abolition des distinctions sexuées dans l’accès aux études, au travail et aux professions), une telle discrimination sexiste de fait puisse ainsi perdurer ? (…)
Eric Macé / mercredi 18 juin 2003