Un samedi matin de janvier, alors que j’étais dans la file d’attente à la poste, le responsable du groupe local des Verts, Philippe, me téléphone pour me demander si j’étais intéressée par la perspective d’une candidature à une élection cantonale partielle qui aurait lieu très prochainement dans le canton de Savigny-sur-Orge, une commune voisine de celle où je suis conseillère municipale. A brûle pourpoint, comme cela ? Je me suis dit qu’il fallait en savoir plus avant de se décider ! Je rappelle Philippe l’après-midi et il m’explique un peu plus le contexte. Décès de la conseillère générale UMP avant le terme de son mandat. Absence de suppléant pour ce type de mandat, d’où la nécessité de faire une élection partielle pour élire un successeur qui devrait effectuer les deux années restantes. Campagne éclair, ne devant pas durer plus de quinze jours. Durée conciliable avec ma vie professionnelle et familiale.
N’était-ce pas un problème de ne pas résider dans le canton pour présenter une candidature ? Non, les conditions d’éligibilité à une élection cantonale imposent, ce qui est logique, d’être inscrit sur les listes électorales et d’être domicilié effectivement dans une commune du département. Bien sûr, cela pouvait être un argument de type électoral, et les autres partis ne manqueraient pas de jouer là dessus. Mais dans le cadre de ma délégation à la prévention à Athis-Mons, j’avais eu à travailler à la mise en œuvre d’un dispositif conçu par le Conseil Général en matière de prévention spécialisée, le « territoire d’action concertée », qui englobait ma commune et deux autres faisant partie de la Communauté de Commune des Portes de l’Essonne, ainsi que Savigny. Or si au niveau intercommunal les trois communes avaient un contrat local de sécurité en commun, et une stratégie de subventionnement des associations de prévention établie de manière concertée et relativement consensuelle entre des villes de couleur politique pourtant différente, Savigny, gouvernée par un député-maire très à droite et très rétif aux activités associatives, avait toujours refusé la concertation préconisée par le Conseil Général.
Rééquilibrer la prise en compte du territoire de Savigny pour la mise en œuvre de toutes les politiques départementales de gauche était un objectif intéressant. A cet argument s’est ajouté le faible nombre de conseillères générales (7 sur 42) et la représentation encore plus ténue des Verts dans cette assemblée, avec un seul élu. Trop peu pour se faire entendre !
L’avantage indéniable d’être une candidate présentée par un parti
Ma décision était prise. J’en informais par écrit le responsable du groupe local, et, deux jours plus tard, le conseil départemental des Verts votait à l’unanimité pour une candidature à cette cantonale partielle, pour laquelle il octroyait un joli petit budget de campagne, m’évitant ainsi d’avoir à avancer sur mes deniers personnels les frais afférents à la campagne. Une marque de confiance qui m’a beaucoup touchée. Et je ne peux qu’être aussi très reconnaissante de tout le soutien moral et logistique que m’ont apporté les militants Verts du département, notamment ceux qui avaient fait campagne pour de précédentes cantonales.
Dès la fin de la semaine, le comité de campagne se réunissait pour m’aider à faire un calendrier intégrant les différentes démarches à faire. La désignation du mandataire financier pour le compte de campagne, le dépôt de la candidature à la Préfecture, la préparation de l’affiche, du tract à distribuer pendant la campagne, de la « profession de foi » (terme bien surprenant pour un militant laïque !) et du bulletin de vote à déposer à la mairie de Savigny qui était chargée de procéder à l’envoi de ces documents à tous les électeurs du canton. Curieusement ce canton de banlieue parisienne, très urbain, avait un découpage infra-communal.
La photo pour l’affiche et le tract devait être de bonne qualité et réalisée rapidement. Le slogan du tract s’est imposé presque spontanément. Quelque chose sur l’avenir, les générations futures, en plus concret. Nos enfants. J’en ai deux. Plus que penser, agir, oui agir et collectivement. Le slogan serait donc : « agissons ensemble pour l’avenir de nos enfants ».
La réflexion pour la rédaction du tract fut plus fastidieuse. D’abord ce qu’on me proposait comme maquette en deux couleurs blanc et vert sur papier recyclé était triste à mourir. Il n’y avait même pas de jaune sur notre logo en tournesol ! Non, la photo serait gaie, souriante, il fallait un tract avec toutes nos couleurs ! Comme il n’y avait pas de charte graphique imposée pour les tracts, on m’a montré la maquette d’un autre candidat de notre parti, qui était en plusieurs couleurs, sur un petit format A5, recto verso avec peu de texte mais des idées force. C’était cela qu’il fallait ! Les gens sont saturés par les tracts qu’ils reçoivent dans leur boîte aux lettres ou en allant au marché, ils les jettent sans même les lire. Donc une photo avec une présentation de la candidate et quelques idées force pour un vrai projet suffisaient. D’ailleurs les tracts des deux principaux candidats (PS et UMP) ne comportaient aucune esquisse de projet : le candidat de droite s’engageait à « poursuivre les travaux » de la conseillère générale décédée, et le socialiste à « mettre en œuvre la politique du conseil général de gauche dans le département ».
Pour les temps forts de la campagne, il m’a semblé qu’il serait plus intéressant d’écouter les attentes des citoyens, et d’organiser des réunions publiques en fonction de ce qu’ils diraient plutôt que de mobiliser des « figures » de notre parti pour attirer les foules (qui ne viennent pas, en général). J’avais déjà un lieu de réunion tout trouvé : le petit café « chez Odette », mon coup de cœur. Odette est une adorable dame âgée, bienveillante, qui est peut-être la plus ancienne commerçante de Savigny. Un ami m’avait fait découvrir son café l’été dernier, en plein cœur du quartier pavillonnaire. On avait sympathisé, elle m’avait confié sa tristesse de voir désormais si peu de monde, en dehors des habitués, parce que les gens ne sortaient plus comme autrefois, qu’ils restaient devant leur télé. Elle n’avait même pas eu l’occasion de rencontrer le nouveau boulanger. Je lui avais alors demandé si elle accepterait d’accueillir le week-end, par exemple le dimanche matin, des réunions avec les habitants, pour des discussions politiques. Ses yeux s’étaient illuminés, et elle m’avait assuré qu’elle serait d’accord.
Ma candidature avait été annoncée à la presse, j’avais déposé mon dossier en préfecture, j’étais la huitième candidate. Toutes les couleurs politiques étaient représentées, quatre à droite, quatre à gauche. A force d’être autoritariste, le député-maire de l’UMP s’était créé des inimitiés. Et à son candidat fétiche s’étaient ajoutés un candidat du Front National, un candidat UDF, et une candidate de l’aile radicale de l’UMP. Pourquoi cette candidate supplémentaire de droite ? Parce qu’il fallait remplacer une conseillère générale de droite ? Où est-ce que Dassault, sur la liste duquel elle avait fait campagne pour les sénatoriales était en bisbille avec le député-maire de Savigny ? A gauche, ce n’était guère plus brillant : le PS était concurrencé par un « divers-gauche » bien implanté dans la commune, le PC présentait un jeune cosaque supposé rassembler les anti-libéraux. Pour un enjeu aussi faible -un mandat de conseiller général de deux ans- la gauche n’a même pas été capable de présenter une candidature unique ! Et le PS n’arrête pas de dire qu’il faut une femme comme candidate unique de la gauche aux présidentielles ! Je ne sais pas s’il y a eu une négociation avant la prise de décision des partis pour présenter une candidature, mais il y aurait eu là une occasion idéale de tester une hypothèse : l’effet qu’aurait pu avoir sur les électeurs un réel accord entre les partis de gauche pour l’emporter dès le premier tour sur les multiples candidats de droite.
Bien que la date d’ouverture de la campagne ait été fixée au lundi 20 février à zéro heure, les panneaux d’affichages avaient tous été placés le samedi précédent, malheureusement, car je soupçonnais que cette facilité donnée aux candidats devait être un piège du député-maire. Or nous sommes « tombés dans le panneau ». Marc et Philippe, pris d’une soudaine fièvre de campagne, m’ont annoncé le samedi matin de très bonne heure qu’il fallait à tout prix « aller coller ». Ils ont chargé les affiches et la colle dans le coffre et nous voilà partis à faire le tour des quinze panneaux électoraux, ce qui nous a pris une bonne matinée, car nous devions nous diriger avec un plan, ne connaissant pas la ville. Nous avons ainsi parcouru 32 km (inscrits au compteur, relevés pour le compte de campagne) en quatre heures. On n’aurait pas pu faire cela le lundi matin. A chaque panneau, ils bondissaient de la voiture, brandissant le pinceau de colle, et avec une énergie incroyable ils s’accrochaient pour atteindre le haut du panneau pour pouvoir coller deux affiches. Je m’interrogeais candidement sur l’intérêt de coller deux affiches au lieu d’une, bien centrée. Ils m’ont répondu qu’elle serait plus visible ainsi, et qu’il fallait d’ailleurs bien plus de deux candidates pour rétablir la parité. Marc avait une telle assurance au collage, que Philippe, impressionné, lui a demandé combien d’années de pratique il avait derrière lui. Quarante ans ! Nous étions à peine nés que lui, il « collait » déjà ! Pour qui ? Pour François Mitterrand, à l’époque où, au PC, on n’avait pas d’autre candidat que lui à présenter.
Dans l’après-midi, nous devions aller « tracter » au marché. Là il y avait quatre candidats et quelques troupes militantes, beaucoup plus nombreuses que les pauvres mamies qui se faufilaient pour pouvoir aller acheter leur commissions chez leur commerçant habituel. Il faisait un froid de canard, un coup à attraper la grippe aviaire. D’ailleurs le soir même j’entendais aux informations qu’un premier cas de contamination du virus H5N1 venait d’être détecté sur le cadavre d’un canard sauvage.
Le dimanche matin, la campagne n’était toujours pas ouverte, mais tous les candidats se sont retrouvés sur la place du marché. J’ai été agréablement surprise de la courtoisie des échanges, voire de la déférence de tous ces messieurs, de droite ou de gauche. C’est vrai qu’il pleuvait des cordes, et que finalement ce n’était pas drôle de faire du boulot de militant le dimanche matin, quand on aurait pu rester à faire la grasse matinée bien au chaud. Mais les copains étaient là, c’était sympa de se retrouver pour l’occasion, ils étaient fiers de présenter leur candidate. En parlant avec le fleuriste, bien qu’il m’ait dit d’emblée qu’il n’était pas un électeur, nouveau coup de cœur : il me propose une énorme gerbe de roses, faute d’avoir des fleurs de tournesol, pour que je les distribue avec mes tracts. Effet garanti ! Les électeurs ont été éberlués de cette distribution faite de façon quasi chevaleresque par l’un de mes jeunes amis militant Vert, Didier. A midi et demie, j’ai offert ce qui restait de la gerbe à Odette, en passant prendre un café chez elle pour me réchauffer.
Le débriefing ce jour-là nous a permis de préciser la stratégie à adopter pendant la campagne. Pendant la semaine, les irréductibles du tractage seraient à la gare RER et au marché le samedi et le dimanche. Pour ma part je continuerais de privilégier le contact avec les gens, en abordant de possibles électeurs dans le bus de la ligne 385 reliant Savigny à la gare de Juvisy, car c’est la ligne que je prends tous les jours pour aller travailler. Cela me permettrait de privilégier aussi la sincérité. Le mercredi après-midi je prendrais une demi-journée de congés pour aller distribuer mes tracts en centre ville, dans les rares jardins publics et à la sortie du lycée technique. Le dimanche matin j’ai proposé d’aller tracter au marché avant tout le monde, dès huit heures, l’heure où y vont les personnes les plus âgées, et d’organiser une réunion de campagne chez Odette avec le conseiller général Vert, et aussi d’autres copains travaillant au Conseil Général. En effet les personnes auxquelles j’avais proposé une réunion chez Odette le dimanche matin s’étaient toutes réjouies à cette perspective. L’une d’elle m’avait même confié que si j’avais proposé la salle des fêtes elle aurait été très déçue.
Des amis Verts m’avaient toutefois prévenue : il ne fallait pas que j’espère avoir beaucoup de monde, un dimanche matin à 10h ! Qu’importe : des amis militants sont venus de tout le département, et il y avait deux ou trois sympathisants ; Odette était ravie, elle qui doutait que je réussisse à rassembler une vingtaine de personnes pour un débat dans son café. Du coup, elle a collé mon affiche, bien en évidence, sur la porte de son établissement. Et elle m’a assuré qu’elle n’avait aucune crainte, quant à ce que le député-maire pourrait trouver à y redire. Je ne voulais pas faire trop de provocation, par rapport au député-maire. D’ailleurs, ce dimanche-là, les militants Verts qui distribuaient les tracts sur le marché avaient appris du candidat du Parti Socialiste qu’il avait été assigné en référé et qu’il devait payer une amende de 500 euros pour affichage en dehors des panneaux officiels. Marc était soucieux. Il regrettait de s’être laissé emporté par son euphorie le samedi précédent. Mais toutes nos affiches collées hors des panneaux officiels sur les panneaux publics avaient été arrachées le jour même, et je n’ai reçu aucune sanction. Ouf ! Mais c’était une bonne leçon.
Pas si facile de faire de la politique autrement !
Un ami militant dans un autre parti politique, à droite, m’avait incitée à prendre quinze jours de congés et à faire une vraie campagne, en rencontrant les habitants, en allant même faire du « porte-à-porte » s’il le fallait. Sur un délai aussi court, aucun candidat ne se donnerait les moyens de s’investir autant personnellement. Une personne sur deux à laquelle je me serais aimablement présentée voterait pour moi. Il fallait donc que je rencontre un maximum de gens, en un minimum de temps, car bien entendu, mon chef de bureau aurait vu d’un très mauvais œil que je prenne quinze jours de congés pour l’occasion, alors que la grippe aviaire commençait à sérieusement agiter les Ministres et les Préfets.
L’idée de faire du porte à porte ne me plaisait pas. D’ailleurs les gens sont beaucoup moins aimables lorsqu’on vient les déranger chez eux que lorsqu’on les croise naturellement, dans la rue, dans un magasin, ou dans un bus. Il me semblait préférable de venir leur parler lorsqu’ils étaient en situation d’attente, à la sortie de l’école, ou à l’arrêt du bus.
J’avais choisi de prendre une première demi-journée le mercredi après-midi, pour distribuer mes tracts. Dominique, un ami militant Vert, m’avait promis qu’il prendrait une récup’ RTT pour m’accompagner. Lorsque nous avons commencé à arpenter les rues principales, certaines personnes ont eu un mouvement de recul, nous prenant pour des témoins de Jéhova ! Fou rire garanti dès que l’on a insisté un peu en donnant notre tract. Comme il y avait peu de monde dans les rues, et qu’il faisait un froid glacial, nous sommes entrés dans les commerces. Environ 50% des commerçants n’habitaient pas Savigny, et disaient regretter de ne pas pouvoir aller voter pour moi. Ceux-là me proposaient de mettre mon affiche sur leur porte, ou de laisser sur leur comptoir un petit tas de tract que leurs clients pourraient prendre…Mais tous m’ont dit qu’ils étaient très touchés de rencontrer un candidat à une élection, parce que jamais aucun ne venait les voir.
Pourtant, le samedi suivant, tous les candidats, ou des militants de leur parti, ont arpenté la rue commerçante. On m’a raconté que les tracts étaient donnés prestement, sans un mot, par des personnes ne se rendant même pas compte qu’elles pouvaient indisposer ainsi les clients qui étaient en train d’être servis. Le député-maire est même venu au marché avec Michèle Alliot-Marie. J’étais perplexe sur la démarche. Quel rapport pouvait-il y avoir entre le marché de Savigny-sur-Orge et la ministre de la Défense ? Etait-ce parce que les déboires du désamiantage du Clémenceau l’avaient soudainement rendue populaire ?
Enfin les deux derniers jours de la campagne, j’ai pris des jours de congés pour rencontrer les électeurs dans chaque quartier. A l’occasion d’une discussion avec le gérant d’une petite épicerie de quartier, il m’a été reproché de n’avoir pas encore été dans le quartier de « Grand Vaux ». C’était là qu’il habitait, lui. Et « on » m’y attendait.
C’est vrai que j’avais étudié les résultats des précédentes élections à Savigny, et que dans cette cité, c’était plutôt les partis extrémistes de gauche ou de droite qui arrivaient en tête des suffrages. Et puis même le cabinet du Maire PS de ma commune m’avait dit : ce n’est même pas la peine que tu y ailles là-bas, tu vas te faire lyncher avec ton programme compliqué. Ce qu’il leur faut c’est un tract simple avec écrit dessus « dehors Marsaudon ! ». Ce à quoi j’avais répliqué que je ne me présentais pas contre le député-maire, et qu’en revanche il me semblait important de défendre mes idées, même compliquées, et que par souci d’équité je ferais campagne dans tous les quartiers.
Seulement j’étais toute seule pour aller à Grand Vaux ce jour-là, aucun autre militant n’avait pu se libérer pour m’accompagner. Mais j’y suis allée, en voiture, parce que c’était au bout du monde, derrière la bretelle d’autoroute. J’ai ressenti que l’exclusion commençait déjà là, par la situation géographique. Les barres d’immeubles étaient froides, écrasantes. Il n’y avait absolument personne dans les rues. Je suis allée jusqu’au petit centre commercial. En plein milieu, il y avait une immense benne à ordures, qui vomissait ses déchets. Je suis entrée chez le boucher, le pharmacien, la boulangère, qui m’ont accueillie chaleureusement, et ont collé mon petit tract sur leur devanture. Les rares personnes rencontrées dans les magasins m’ont proposé de prendre quelques tracts pour les donner à des amis. Ils en profiteraient pour leur dire qu’ils m’avaient serré la main. Une brave dame en prenant le tract m’a demandé si je connaissais Noël Mamère, et qu’il fallait que je lui dise qu’elle l’aimait. Et puis elle a ajouté « mais c’est vrai, vous aussi je vous ai vue à la télé ! ». Il y avait certainement confusion, mais je l’ai embrassée, « de la part de Noël Mamère ».
Quel pouvait être le lieu de vie de ces gens ? Je ne voyais que l’école, susceptible de rassembler ponctuellement un certain nombre de mamans, papas ou nourrices. Effectivement, ma venue a été une sorte d’attraction. Des jeunes du collège d’à côté m’ont eux aussi demandé des tracts, comme s’ils allaient en faire collection. Au bout d’une demi-heure, une maman africaine est revenue vers moi après avoir été chercher son enfant et elle m’a avoué, un peu gênée, qu’elle avait pris mon tract, pour ne pas m’offenser, mais qu’elle ne pouvait pas voter car elle n’était pas française. Je l’ai réconfortée en lui disant que c’était important qu’elle le garde, pour pouvoir lire le programme, car nous autre Verts, nous souhaitions tout autant œuvrer pour tous les « habitants » d’une cité, et non simplement pour les citoyens français. Un large sourire a éclairé son visage et elle m’a attrapée le bras pour m’emmener avec elle bras dessus bras dessous jusqu’au centre commercial. Là elle a harangué tous les gens qu’elle connaissait en leur demandant pour qui ils allaient voter, et lorsqu’ils étaient indécis elle me présentait en ajoutant : « tu vois, cette candidate, tu l’a rencontrée, tu la connais, c’est pour elle qu’il faut voter ! ».
Le décalage entre les attentes du candidat et celle des électeurs
En fin de compte je n’ai eu que très peu l’occasion de parler avec les électeurs des idées des Verts ou du projet que j’avais en matière de prévention. Deux personnes seulement m’ont prêté une oreille attentive. Un enseignant à l’IUFM de Créteil, préoccupé par le décalage entre l’enseignement dispensé aux jeunes « professeurs des écoles » et la réalité sociale qu’ils devraient affronter sitôt sortis de leur formation, notamment s’ils étaient affectés en Zone d’Education Prioritaire. Deux jours plus tard, j’ai déposé chez lui le numéro de Cosmopolitiques « Trop d’école », pour que nous puissions poursuivre un jour notre discussion. J’ai rencontré aussi un médecin du centre médico-psycho-pédagogique de Savigny, auquel j’ai parlé de ce que j’aimerais mettre en place sur le territoire d’action concertée. Il m’a répondu que bien que n’habitant pas Savigny, il espérait de tout coeur que je sois élue, car il aurait grand plaisir à travailler avec moi, alors que pour l’instant il se heurtait perpétuellement à la municipalité de Savigny, qui ne voulait rien entendre concernant ses patients les plus difficiles, que le Maire ne pensait qu’à expulser de son territoire.
La seule idée des Verts qui semble avoir eu un retentissement chez les jeunes a été celle relative au cannabis, si j’en crois leur connivence dès lors que je me suis présentée comme candidate de ce parti. J’ai abordé quelques jeunes qui rôdaient aux abords de la gare, et qui ont pris mon tract. Les plus intéressés n’habitaient pas Savigny. C’était l’autre là, qui était de Savigny, celui qui haussait les épaules. Après avoir fait un demi-tour sur lui-même, le savinien m’avouait enfin, l’oeil vague, qu’il ne comprenait rien à tout cela. Son pote le plus intelligent a objecté « Mais tu connais tout le monde dans ta cité ! Tu pourrais au moins distribuer les tracts dans les boîtes aux lettres ». Il m’a pris une liasse, et l’a mise d’autorité dans les mains du savinien qui n’a pas réagi. « Tiens ! Tu auras fait au moins quelque chose d’utile dans ta journée ! ». Quelques jours plus tard, j’ai de nouveau croisé ces jeunes. Ils m’ont saluée, m’ont dit « pas de problème m’dame, les tracts ont été distribués, ils voteront tous pour vous ! »
L’intérêt pour la question des drogues m’est venu dans le cadre de l’exercice de mon métier, la douane, lorsque j’ai travaillé comme chargée de mission à la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT). Les Verts étaient à cette époque les seuls à aborder cette question complexe, à essayer de promouvoir un débat, que le gouvernement socialiste n’a jamais eu le courage d’aborder. Or le cannabis fait partie intégrante de la culture des jeunes des cités, pour bien des raisons. Paradoxalement, c’est aussi à cause de mon métier indiqué sur mon tract que certains jeunes à la sortie des collèges m’ont demandé, avec une expression gourmande : « Vous êtes douanière ? Oh, vous avez dû en voir des quantités de drogue, vous ! ». J’ai dit qu’effectivement, j’avais vu beaucoup de produits, mais que ce qui me préoccupait c’était plutôt l’état des gens, quand ils en consommaient trop ou qu’ils étaient dépendants.
Pour le reste, j’ai pu constater qu’il m’a été presque impossible de parler avec des gens qui d’avance « savaient » pour qui ils voteraient. La plupart me disant d’un ton méprisant qu’ils « voteraient utile ». Certains m’ont dit que c’était dommage que les Verts soient devenus un parti politique, qu’ils étaient devenus moins audibles que les autres associations écologistes, et qu’ils s’étaient affaiblis à s’intéresser aux questions qui les éloignaient de l’environnement. D’autres m’ont dit que l’environnement c’était ni a droite, ni a gauche, et que compte tenu de la désaffection des citoyens pour la politique, les Verts ferait mieux de se présenter comme une troisième voie.
Résultats : troisième place pour la troisième voie !
Les résultats ont confirmé les données habituelles : les deux grands partis, UMP (39%) et PS (26%) sont arrivés en tête. Mais je suis arrivée troisième avec 7,3 % des voix. Le très fort taux d’abstention (66%) confirmant la désaffection des citoyens pour la politique.
Il y a tout de même eu des témoignages troublants, qui pourraient en partie expliquer l’abstention, et qui auraient sans doute justifié que j’intente un recours au Tribunal administratif, concernant le déroulement de cette élection. En effet bien des personnes pendant la campagne se sont étonnées de n’avoir rien reçu par la poste, mais peut-être habitaient-ils l’autre canton. Toutefois des amis habitant en plein centre du canton m’ont signalé que, bien qu’inscrits sur les listes électorales, ils n’avaient jamais reçu les « professions de foi » des candidats. Seuls les grands partis ayant assez de « bras » avaient distribué les tracts de leurs candidats dans les boîtes aux lettres. Je me suis demandé si cela n’expliquait pas aussi pourquoi les habitants de la cité de Grand Vaux étaient si avides de tracts.
Beaucoup de jeunes aussi m’ont interrogée, parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils n’avaient pas reçu leur carte d’électeur, alors qu’ils s’étaient inscrits sur les listes électorales. La campagne d’inscription ayant eu trop de succès, je savais que le Ministère de l’Intérieur avait donné la consigne aux Préfets d’envoyer les cartes aux seuls nouveaux inscrits concernés par des élections cantonales partielles. Que s’était-il donc passé ?
Le soir du dépouillement, dès la proclamation des résultats, la secrétaire départementale du PS s’est précipitée vers notre petit groupe de militants Verts et sans même me saluer a demandé au secrétaire départemental des Verts qu’il lui envoie le texte à mettre sur le tract du candidat PS pour appeler nos électeurs à voter pour lui. J’étais suffoquée. Quel mépris pour nos électeurs que cet appel à voter ! Non seulement ceux qui avaient voté pour moi avaient en général pris soin de lire les tracts et de comparer les programmes, mais en plus certains m’avaient dit qu’ils voteraient pour moi car ils ne voulaient ni de l’UMP, ni du PS. Que signifiait cet appel ? Que je pensais que mes électeurs n’étaient pas assez grands pour savoir pour qui voter au second tour ? J’ai résisté autant que j’ai pu aux arguments du secrétaire départemental. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à publier un communiqué de presse au nom des Verts si vraiment c’était nécessaire. Mais lui ne comprenait pas pourquoi je ne voulais pas suivre les « orientations générales du parti ». J’ai dû céder, j’ai rédigé un court message de remerciement à mes électeurs et une invitation à la mobilisation en faveur de la politique de gauche du Conseil Général. J’aurais voulu faire de la politique autrement, mais j’ai le sentiment d’y avoir échoué car je n’ai pas pu respecter le libre choix des électeurs qui m’avaient dit attendre une troisième voie. C’est le revers de la médaille, mais sans le soutien de mon parti politique je n’aurais certainement jamais vécu cette expérience passionnante de campagne électorale.