Il faudrait penser la santé avec Foucault comme biopolitique. Des militants concernés (Act Up) font apparaître aussi sa dimension cosmopolitique en reliant l’enjeu d’incertitude scientifique et politique avec la fragilité personnelle éprouvée par les malades et partagée. L’empowerment réussi par un collectif de malades oblige à conjuguer autrement savoir et pouvoir et renouvelle profondément les pratiques politiques et scientifiques à la fois. Le vocable d’«activisme thérapeutique» s’impose pour désigner la volonté de débattre et d’influer sur le mode de production des connaissances sur la maladie, depuis la lutte contre le sida principalement. Celui-ci peut être défini comme recouvrant de fait, et en droit, la zone d’intersection et de friction entre les savoirs des malades et les cadres collectifs, publiques, qui les structurent. Dit autrement et plus précisément, les savoirs des malades se diront ici (par des voix activistes et par voie activiste), au double sens du génitif en tant que la conception du malade est elle-même intriquée dans une conception de la place de l’homme dans la société et dans l’environ- nement, puisque le malade n’est pas dans une situation expérimentale pure mais dans un milieu mental, social et environnemental dont l’« activisme thérapeutique » fait signe des problèmes à traiter en tant que la conception des savoirs est elle-même intriquée dans une conception de la place de l’existant (et non pas simplement du vivant) dans le champ médical, sauf à verser dans une politique de la vie pure, du déni de prise en compte de ce qui nourrit et contraint de tels savoirs, – qui est ce sur quoi l’«activisme thérapeutique » a à se positionner, en tant qu’il n’est pas porteur d’un modèle de solution, mais, pour reprendre une formulation d’Isabelle Stengers, « vecteur de production de problèmes pratiques discutables… au sens concret où il s’agit de faire vivre un problème, de donner à ses dimensions multiples les moyens de se déployer et d’intéresser, de rendre discutables les choix conflictuels qui leur correspondent ». Enjeux d’identités et fait communautaire de la lutte contre le sida Cette aspiration à plus de démocratie, comme on peut le voir dans d’autres cas de figure, mobilisant d’autres revendications de minorités, s’applique ainsi à la question de la représentation, lancinante pour les groupes d’autosupports travaillant collectivement, de manière réflexive, entre soi, l’expérience individuelle de la maladie, et se constituant en représentants des malades auprès d’autres instances (médecins, État, laboratoires pharmaceutiques) : comment ma voix individuelle peut-elle devenir commune, représentative, et comment puis-je par moment la céder, et laisser d’autres parler en mon nom ? C’est ici formuler un axiome de la lutte d’Act Up, qui prend le sens de ne pas se laisser dépos- séder du pouvoir de dire la vérité sur la maladie, une fois dit que c’est là un effet de domination ou de clôture.