Elue à la ville de Toulouse, 7eme adjointe au Maire, déléguée à l’action sociale. Claude Touchefeu a d’abord été conseillère générale dans le département de Haute Garonne, avant d’être élue aux affaires sociales à la ville de Toulouse lors du changement de municipalité en 2008. Elle a progressivement tissé une relation de travail avec le GAF permettant l’émergence de nouvelles pratiques d’aide sociale destinées aux personnes de la rue.
Entretien avec Claude Touchefeu, adjointe au maire de Toulouse
Elue à la ville de Toulouse, 7ème adjointe au Maire, déléguée à l’action sociale.
Claude Touchefeu a d’abord été conseillère générale dans le département de Haute Garonne, avant d’être élue aux affaires sociales à la ville de Toulouse lors du changement de municipalité en 2008. Elle a progressivement tissé une relation de travail avec le GAF permettant l’émergence de nouvelles pratiques d’aide sociale destinées aux personnes de la rue.
« Le premier acte qui a créé la confiance »
Claude Touchefeu (CT) : Je connais Jean-Marc Legagneux (secrétaire général du GAF) depuis un certain nombre d’années maintenant. Je l’ai connu par le Conseil Général où je m’occupais du RMI ; le GAF était suivi dans ce cadre. Il avait mis en place des ateliers pour les personnes qui touchaient le RMI, dans des situations de grande exclusion. Ces ateliers étaient un peu atypiques puisque c’étaient des projets montés par des anciens de la rue ou des personnes toujours à la rue – c’est comme ça que je l’ai connu d’abord.
Je n’ai pas suivi de près les premières expériences de lieux d’hébergement que le GAF a monté. Ensuite, j’ai eu des contacts réguliers de travail avec le GAF en tant que conseillère générale, soit sur des situations très concrètes, soit sur des évolutions législatives. Je connaissais donc le GAF avant d’être à la mairie.
Le premier acte qui a créé la confiance, c’est une anecdote que je raconte parce que je trouve que parfois les détails ont du sens. Il y avait eu une action du collectif SDF au moment où l’ancienne municipalité avait pris un arrêté anticamping sur l’ensemble du territoire de la ville. Il y avait eu une manifestation symbolique du collectif SDF. J’y étais allée en tant que représentante du conseil général, parce que je trouvais que la politique sur les SDF était un peu trop répressive. Il se trouve que ce jour-là, Jean-Marc Legagneux m’a fait remarquer que les toilettes qui dépendent de la gare des autobus, étaient fermées le week-end depuis quelques mois, alors que c’était un des rares endroits où les SDF pouvaient aller se laver en fin de semaine. Et un peu par hasard, j’ai rencontré le président du Conseil Général directement en revenant de cette manifestation. Donc je lui en ai parlé, je lui ai dit qu’on pourrait se renseigner et essayer de les faire rouvrir. Une semaine après, elles étaient ouvertes. Peut être que si j’avais dû faire la démarche par courrier, elle se serait enlisée dans les méandres administratives.
Quand on est arrivé à la municipalité, j’ai eu à cœur de travailler avec l’ensemble des associations engagées sur le sujet ; il y a une richesse associative sur la ville de Toulouse qui est réelle, dans sa diversité et dans sa fédération. Ce sont des associations très diverses qui vont du Secours Catholique à Médecins du Monde, au GAF, et qui sont fédérées depuis très longtemps au sein du collectif interassociatif. Pour une municipalité, c’est très intéressant, parce que ça nous permet d’avoir des moments de travail avec des interlocuteurs fédérés qui ne relèvent pas simplement de : « combien je vais donner à untel, untel ou untel ». D’ailleurs on parle très peu d’argent dans ces réunions, mais bien plus de politiques municipales, ou des problématiques que rencontrent ces associations. C’est dans ce cadre-là que j’ai rencontré d’autres personnes du GAF, et qu’on travaille de manière tout à fait intéressante.
La crise du « chemin du raisin »
Je crois que c’est grâce à ce travail avec les associations – et là, le GAF a été déterminant – qu’on a mis en place une expérience assez intéressante baptisée « le chemin du raisin ». C’est une expérimentation qu’on a menée à partir d’une situation de crise difficile, suite à l’installation de tentes de campement en face de la gare, de façon très visible, sur les berges du canal. Une situation qui s’était installée au fil des semaines, au moment de notre élection, et qui ne pouvait pas perdurer – il y a eu un décès, une femme qui est tombée dans l’eau. On ne savait pas trop comment prendre la chose, on a décidé avec le maire de poser un ultimatum : il fallait que ce campement soit démantelé, et en même temps, pour les personnes qui voulaient être aidées, qu’on essaie de trouver des solutions.
Là, j’ai beaucoup travaillé avec le collectif, pour « sentir » un peu, évaluer ce que l’on pouvait faire, etc. C’était un campement assez dur, beaucoup de jeunes n’avaient quasiment plus de lien avec les travailleurs sociaux. J’ai pu vérifier avec le collectif, qu’il fallait, pour essayer de déclencher quelque chose, avoir une approche ferme, quitte à apparaître un peu brutale. Le dialogue a eu du mal à s’établir.
La médiation du GAF
A un moment donné je pense que le GAF a été déterminant parce qu’ils ont pu rencontrer ces personnes et leur dire « mais écoutez, la mairie vous propose quelque chose, en tout cas un dialogue » – on avait proposé de passer par des permanences de travailleurs sociaux, ils ne voulaient pas – et donc le GAF a dit : « vous n’avez rien à perdre à aller voir ». Tout en n’instrumentalisant pas la situation (comme beaucoup l’ont fait), le GAF y est donc allé en leur disant : « vous n’avez rien à y perdre, on vous tend la main, allez voir ». Le collectif les a aidés à formuler des choses à partir de ce qu’eux-mêmes portaient, et a accompagné ce groupe dans des moments de dialogue, avec moi en particulier. Avec un profond respect, en laissant les gens parler, et non pas en les instrumentalisant de manière trop politicienne.
Cela nous a permis de construire quelque chose d’assez original, qu’on a d’ailleurs dupliqué depuis une fois, qui consistait à écouter ce qu’ils [les gens du campement] avaient à dire et de monter quelque chose « sur mesure », en plusieurs étapes. La première étape a été l’installation d’une partie du campement sur un terrain rapidement et sommairement aménagé. Une partie seulement parce qu’une autre était partie avant l’ultimatum. Cette étape correspondait à une situation intermédiaire. L’étape suivante a été de mettre à disposition des logements avec un bail d’occupation précaire pour un an, renouvelé une fois, dans des bâtiments de la ville qui sont voués à la démolition – dans le cadre de projets d’urbanisme un peu lointains.
« Ce que le GAF m’a fait comprendre » : s’adresser au groupe, pas aux individus
Ce que le GAF m’a fait comprendre, c’est que pour certaines personnes, le gro
upe est indispensable pour leur parcours de redynamisation, de resocialisation, etc. Ces jeunes ne s’adressaient plus au 115, n’allaient plus voir les travailleurs sociaux individuellement parce qu’ils avaient besoin de ce groupe, et on a respecté cela. C’est le GAF qui m’a aidé à comprendre cela : dans certaines situations le collectif, c’est une manière de rester debout. Je suis une militante, je crois à l’engagement collectif. Je crois que penser nos situations individuelles comme des situations sociales qui ont à voir avec d’autres choses, je crois que ça aide parfois. Indiscutablement, l’engagement dans cette expérience a été rendue possible grâce au rôle joué par le GAF et à la nature des relations qu’on avait – c’est-à-dire une certaine confiance. Eux me disaient : « si tu peux aller vers eux ça vaut le coup » et vice-versa.
Et c’est l’expérience du GAF, le fait qu’ils aient des lieux et la question de comment faire vivre ces lieux, qui m’a fait toucher du doigt qu’ils avaient des manières de fonctionner qui étaient peut-être intéressantes à défricher avec eux.
Ils n’ont pas voulu être partenaires de ce projet, ils ont été intermédiaires, conseillers. C’était très clair : ils ne voulaient pas être prestataires. C’est un fonctionnement absolument associatif, et leur projet associatif vient parfois rencontrer des volontés politiques de collectivités publiques, mais ce n’est pas une association de « prestataires ». Ils restent une association forte avec un projet associatif fort. En même temps, ils sont très constructifs dans leurs relations avec les collectivités. Ils ne disent pas : « c’est notre projet ou rien » mais, ont des principes d’intervention, de fonctionnement et de travail, qui font qu’ils savent à quoi ils ne veulent pas déroger dans leur manière de travailler. On ne peut pas travailler avec eux comme les pouvoirs publics cherchent de plus en plus à fonctionner, et en particulier le gouvernement, c’est-à-dire à plaquer dans le domaine social des modèles issus de l’intervention dans d’autres domaines – les appels à projet, les appels d’offres, les prestataires de services, etc.
Là, on est au cœur de ce que devrait être le social, c’est-à-dire des collaborations, des partenariats entre la collectivité et des associations, qui sont des interlocuteurs politiques. Ils ont une approche tout à fait singulière, ils témoignent de certaines choses, ils parlent parfois au nom de certaines personnes mais jamais à leur place. Je les vois très régulièrement, on essaie de travailler avec les autres associations pour avoir des échanges, parfois il peut y avoir une mauvaise compréhension et d’autres fois ils travaillent main dans la main.
On a eu une situation un peu compliquée cet été, liée à la politique par rapport aux Roms, qui a débouché sur une opération de la préfecture. Mais nos bonnes relations avec le GAF nous ont permis de travailler avec les SDF qui n’étaient pas Roms et qui étaient là depuis longtemps, pour que des choses leur soient proposées. A ce moment-là, ils ont accepté d’être partenaire d’une opération – parce qu’on sait qu’il ne suffit pas de leur demander pour qu’ils le soient, ce n’est pas une entreprise.
Spécificité des partenariats GAF : « aller là où les grilles de l’Etat ne sont pas encore construites »
Cosmopolitiques : Vous travaillez avec eux sur d’autres choses ? Parce qu’évidemment le phénomène lui-même ne diminue pas, il y a de plus en plus de personnes à la rue…
CT : Je travaille avec le collectif inter associatif à la fois sur les réponses globales et sur la bonne complémentarité entre municipalité et Etat. Parce que quand même il y a une responsabilité première de l’Etat sur ces questions-là.
Après, on a d’autres projets avec eux, on a actuellement en projet un terrain pour des SDF en tentes qui sont dans des conditions de sécurité assez dures dans la ville, et donc non pas un camping pour routards mais un terrain. On travaille actuellement avec eux sur la convention et la localisation. C’est un projet dont ils sont porteurs et qu’on va concrétiser pendant l’hiver pour qu’il soit prêt au printemps.
Cosmopolitiques : quelles sont les spécificités du montage d’un projet comme ça, par rapport à d’autres projets qui se passent du recours à des associations ?
CT : L’hébergement, l’hébergement d’urgence, c’est une responsabilité d’Etat. Nous, on n’est pas dans la même chose, on n’est pas dans une politique globale de création de places d’hébergement et d’appels à projets pour la création de ces places. Nous ne voulons pas nous substituer à l’Etat dans sa responsabilité.
Notre ligne de conduite, c’est d’aller là où les grilles de l’Etat ne sont pas encore construites. On va pouvoir accompagner certains projets, mettre en œuvre certaines choses nous-mêmes, qui nous paraissent intéressantes et novatrices, avec l’idée de peut-être la modéliser et d’aller chercher de l’aide de l’Etat par rapport à ça. Donc on travaille un peu « sur-mesure » entre nos envies de créer des réponses, nos besoins, et puis le travail régulier qu’on fait , avec les associations, qui nous permet de dire « dans cette situation, on pourrait peut-être faire comme ceci ou comme cela. »
Travailler avec le GAF : une coproduction
Le projet de terrain est lié au GAF, c’est une coproduction. D’ailleurs sans le GAF, on n’aurait pas pu penser à un terrain comme ça, parce que ce n’est pas seulement créer des places, c’est accompagner des personnes, qui elles-mêmes se prennent en charge, afin de pouvoir par exemple imaginer mener des chantiers d’insertion avec ces personnes.
Après, il y a d’autres moments où l’initiative vient de nous, et alors on décide ou non de trouver une structure avec laquelle travailler. Ça peut être le GAF comme ça peut être Médecins du monde, Emmaüs, Secours Catholique etc.
Cosmopolitiques : Mais par rapport à ce projet-là, auriez-vous pu penser, vous-même, qu’on pouvait trouver un autre terrain pour y installer les tentes s’il n’y avait pas eu le GAF ?
CT : Jamais. Jamais, parce que je n’aurais pas osé penser, en tant qu’élue, que proposer un terrain pour mettre des tentes pouvait être une proposition acceptable du point de vue de l’éthique, des personnes accueillies, d’une politique. Je pense que c’est évident que si une politique d’hébergement était basée sur des terrains en tentes, ce ne serait pas acceptable. Donc non, je n’y aurais pas pensé. Cela ne devient que compréhensible et acceptable à partir du moment où on mène cette discussion précise sur « à quel public c’est destiné », « pour quoi faire », etc. Et là, ce sont les associations de terrain qui peuvent amener un regard que moi seule je n’aurais jamais eu.
Je pense que les associations comme celle-ci nous aident, nous, en tant que service public, en tant qu’élus, à bâtir des projets différents.
Ce sont des gens avec lesquels je partage beaucoup de compréhension sur le sens des choses, le sens du détail. On parle le même langage. Et je trouve qu’ils sont très intéressants, du point de vue de la dignité des personnes. Ce sont des gens avec lesquels j’apprécie beaucoup de travailler. C’est une association que j’ai vue grandir, prendre de l’essor…
Cosmopolitiques : Avec un rythme bien à elle, puisque ce sont les personnes qui sont à l’intérieur de l’association qui elles-mêmes montent ces projets, les uns après les autres.
CT : Tout à fait. J’ai vu cet enchaînement, et surtout j’ai vu les choses tenir, avoir du sens dans la durée. Là par exemple ils amènent la problématique des personnes à la rue vieillissantes, on a des réunions de travail avec eux et le collectif, ils ont leur propre démarche associat
ive, et avec eux et avec le collectif, on arrive à avancer de manière intéressante… La question n’est pas seulement de savoir si la mairie va leur donner des sous ou non. On a un vrai travail d’échange, qui fait également évoluer les pratiques, nos pratiques pour nos projets municipaux. Et c’est cela qui est le plus intéressant : ils ne défendent pas que leur association, ils défendent un regard, des manières de faire avec ces personnes…
Cosmopolitiques : Est-ce que vous avez en mémoire des moments où ça ne marche pas, ou c’est difficile, ou on n’arrive pas à s’entendre, ou il y a un effort à faire ?
CT : Je cherche. (Silence) Je ne sais pas si j’ai souvenir de…
Cosmopolitiques : Par exemple au tout début du Chemin du raisin, c’était sans doute compliqué ?
« La divergence de points de vues, elle est posée sur la table »
CT : Nous étions élus depuis …mois. Oui, ça a été l’épreuve du feu pour tout le monde, savoir s’ils pouvaient nous faire confiance (je parle des SDF et des associations), savoir s’ils se compromettaient trop… Ils savent quelle est ma place, mon job, et il y a un respect réel de cette place là, de mes contraintes, de ce que je vais pouvoir travailler ou non.
Jean-Marc [Legagneux], je me suis déjà engueulée avec lui ! À propos la police municipale, encore que… C’est vrai qu’à un moment on va expulser des gens, mais moi je ne m’en cache pas, je suis là pour l’intérêt général, parfois il faut aller jusqu’au bout. Ils parlent depuis leur place, ils n’essaient pas de parler à la mienne, et du coup la divergence de point de vue, elle est posée sur la table, on ne part pas du même endroit mais il y a du respect.
Le GAF de ce point de vue-là est d’un pragmatisme constructif absolu sur le respect de la loi, le respect des règles, sur la dignité des personnes, la sécurité des personnes, de tout le monde, à partir du moment où on n’a pas un regard idéologique, dépréciateur, condescendant sur les personnes qui sont à la rue… Quand je disais qu’on parle le même langage, voilà. A partir de là, je pense que ça nous aide à avancer sur certains sujets, sur des sujets sur lesquels parfois je me disais qu’on n’arriverait jamais à bosser. Par exemple là, comment on bosse sur les commerçants et leurs rapports avec les SDF ? C’est des moments de travail où leur approche nourrit le travail. Et ils ne se mettent pas à notre place, ils ne nous disent pas « à votre place je ferais ça »… enfin si, des fois ils le disent, et nous on respecte le fait qu’on n’est pas à leur place, et qu’à un moment donné c’est normal qu’il y ait un coup de gueule quand on met quelqu’un dehors. Donc on a ce profond respect des places de chacun. J’ai trouvé les mêmes démarches avec toutes les associations. C’est très constructif.
Regarder les gens de la rue sans penser tout de suite « solution d’hébergement »
Cosmopolitiques : À Toulouse, les SDF ont le droit de dormir dehors ?
CT : Oui.
Cosmopolitiques : Parce qu’il y a un moment où ça s’était durci.
CT : Oui, il y avait eu un arrêté. Donc nous on travaille beaucoup avec la police municipale, on a une cellule « squat » qui travaille avec le service espaces verts, les services sociaux, la police municipale. On a un interlocuteur à la police municipale et on essaie d’avoir des lignes de conduite à propos du fait que les SDF sont dans la ville. Ils sont par définition beaucoup dans la rue : ça ne leur donne pas le droit de faire n’importe quoi, et ça ne leur donne pas non plus le droit de ne pas y être. À partir de là, on essaye d’avoir une ligne de conduite avec la police municipale. Ce n’est pas toujours facile, parce qu’en plus il y a de plus en plus de personnes dehors. Pour nous c’est important de dire – même s’il y a plusieurs catégories, beaucoup plus que ce que je croyais – que ce sont des Toulousains, beaucoup de vieux Toulousains. Donc il n’y a pas de raison, ils sont dans la ville aussi.
Je crois aussi que ce que le GAF m’a apporté, c’est d’être en capacité de regarder les gens de la rue et de ne pas penser qu’il fallait tout de suite – non pas les cacher – mais leur trouver une solution d’hébergement. Il y a des parcours tellement différents.
Programme « un chez soi d’abord » – Toulouse répond à l’appel à projet national
CT : L’autre point de collaboration c’est l’expérimentation: « un chez soi d’abord ». C’est un programme national pour lequel Toulouse s’est portée candidate avec trois structures qui se sont mises ensemble. Il y a un comité de pilotage où le GAF est assez présent. L’hôpital psychiatrique Marchant ainsi que l’association Clémence Isaure qui travaille sur la problématique des addictions. Et le Pact-Arim pour la question du logement. Ces trois structures se sont mises en mouvement pour faire une réponse à l’appel à projet.
Cosmopolitiques : Le GAF ne se porte pas candidat lui, alors ?
CT : Non, mais il a un rôle d’éclairage sur les problématiques.
Cosmopolitiques : Quand vous dîtes que la ville se porte candidate, qu’est-ce que ça veut dire ?
CT : Suite au rapport « Un chez soi d’abord », il y a eu un appel à expérimentation, à recherche, pour développer des expérimentations un peu formatées sur certains sites. Au départ, c’est un projet pour 100 personnes sans toit, avec des problématiques psychiatriques, auxquelles on trouve un logement de manière inconditionnelle car on part du fait qu’il faut un toit pour rebâtir et consolider l’accompagnement, le soin… C’est ce qu’on appelle la « restauration » je crois…
Cosmopolitiques : Le « housing first » ?
CT : Oui. Ce projet autour de 100 personnes est une recherche-action. On donne un toit, et en plus on met en œuvre ce qu’il faut – quel que soit ce qu’il faut – par les travailleurs sociaux, le monde du soin, etc. Souvent, on voit le logement comme une fin. Ici, on le pose d’abord, en faisait le pari que ce « d’abord » permet la restructuration de la personne. C’est ce qu’on a eu aussi au Raisin. On disait : « ces gens, on ne sait pas comment les toucher ». Mais le fait d’avoir un endroit qui était chez eux – ce n’était pas un hébergement public, il n’y avait pas de gardien – ça change tout. Alors que dans le squat – dans leur « terrier », c’est dur mais c’est comme ça –, ils étaient…
Cosmopolitiques : Ils étaient en défense dans leur squat, alors que là ils sont chez eux.
CT : C’était assez spectaculaire, quand même. Le projet national se place dans le même principe, et le GAF fait partie du conseil.
« Pas de contrepartie au logement » : un point d’achoppement au conseil municipal.
Cosmopolitiques : Il n’y a pas de contrepartie qui est demandée ? Le GAF défend cela : ce n’est pas parce qu’on a un logement qu’on va s’insérer « comme il faut », suivre un programme…
CT : C’est vrai, ils ont des principes de fonctionnement qui à mon avis sont des « détails qui tuent ». Dans le cadre du chemin du raisin, il n’y a pas eu de contre partie. Il y a des engagements sur les conditions permettant la vie collective du type prise en charge des fluides, électricité, etc…mais pas d’engagement à une réinsertion. Et quand il y a eu le débat en conseil municipal, c’est devenu un point d’achoppement : « vous donnez un logement, un toit, sans conditions ? ». Parce qu’on ne parlait pas des mêmes choses… moi je voyais pas pourquoi on « conditionnerait ». D’ailleurs on a eu raison au bout d’un an : ce sont les personnes elles-mêmes qui nous ont dit, peut-être que là ça nous intéresserait, d’être mieux accompagnés individuellement. Ce sont des démonstrations par l’exemple. Au GAF ils l’ont fo
rmalisé et ils nous disent : « Attention, vigilance là ! ».
Cosmopolitiques : Il peut y avoir des réflexes d’insertion qui sont un peu invasifs et un peu condescendants, et à côté de la plaque en plus.
CT : C’est surtout à côté de la plaque, car ce n’est pas l’étape où on se trouve.
Cosmopolitiques : Est-ce que vous avez senti du côté des travailleurs sociaux qu’il y avait des freins à ce niveau-là ?
« Tout le monde était assez fier d’avoir fait cela »
CT : Un petit peu, mais au final je trouve que non, tout le monde était assez fier d’avoir fait cela. Chacun travaillant à sa place, les personnels de la ville, les associations qui font intermédiaire, les personnes, moi en tant qu’élue, les travailleurs sociaux, le GAF avec sa place particulière : chacun fait son job à sa place. Et ça marche…
Cosmopolitiques : De toute façon, les autres solutions avec cette population n’avaient pas vraiment marché…
CT : Absolument, cela a été pour moi une leçon de choses. On a récidivé, et là c’est intéressant parce que dans les politiques à mettre en œuvre, parfois ce donnant-donnant est un contresens.
Cosmopolitiques : Cette politique pour les SDF peut influencer d’autres problématiques, peut-être ? Comme avec d’autres exclus, par exemple pour les populations qui fréquentent les services sociaux, il y a souvent un donnant-donnant.
CT : Ça ne veut pas dire que ça n’a jamais de sens, je ne veux pas prendre le contre pied totalement. C’est-à-dire que ce sont des lignes de partage très fortes entre ce que je pense être la droite et la gauche. L’action sociale, c’est pour moi l’accès à des droits collectifs qu’on se donne tous socialement pour faire société ensemble. Ce n’est pas : comment les plus riches aident les plus pauvres parce que les pauvres malheureux n’arrivent pas à s’en sortir tous seuls. Il y a des choses qui doivent être inconditionnelles. Comme le droit à l’éducation. Pour que tous aient accès aux mêmes droits, il faut remplir les conditions qui ne sont pas exactement les mêmes pour tous. C’est pas dans l’air du temps, avec l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, et l’idée fondamentale qu’on ne peut pas avoir de droits collectifs, qu’il faut se méfier, qu’il y a toujours des profiteurs, que la sécurité sociale ne peut pas marcher, qu’il faut cotiser chacun pour soi, etc. Le fait que le GAF défende que, pratiquement, si vous demandez à quelqu’un d’être aidé en lui donnant quelque chose en échange, il y a des fois où ça a du sens, et d’autres où c’est du contre sens, cela fait écho pour moi. Et eux ils le vivent, donc c’est intéressant. Ils se sont fait reconnaître, avec leurs différents projets. Et s’ils nous disent, ce groupe, eh bien peut-être que ça vaut le coup – parce qu’ils savent aussi dire : « tel groupe je ne parierais pas trop dessus » – je les écoute attentivement.
Cosmopolitiques : Cela relève d’une connaissance très fine.
CT : Absolument, ce sont des nuances qu’ils m’apprennent à faire.
Entretien recueilli par Emilie Hermant et Cassiopée Guitteny pour Cosmopolitiques (novembre 2010).